Je vous remercie de m’avoir prévenu de la disparition d’André Roumieux.
Je l’estimais beaucoup. Je l’ai rencontré lors de ma dernière année d’internat chez Hélène Chaigneau en 1967-68 au Pavillon 4 du CTRS, le dernier pavillon fermé du service. Il y était, surveillant d’après-midi me semble-t-il, période (je ne le savais pas, il n’en parlait pas) où il écrivait son livre « Je travaille à l’asile d’aliénés » qui allait si fortement impressionner, et participer ainsi à la mobilisation qui allait réveiller le monde asilaire, décrit par lui avec tant de précision. Ce témoignage direct et sur une longue durée (il y décrit aussi les étapes de la vie de l’infirmier psychiatrique souvent dévaluée) sur le dénuement des patients fut essentiel.
J’estimais personnellement beaucoup ‘Roumieux’, un homme au contact très doux. Le pavillon 4 du CTRS était difficile, mais il en connaissait fort bien chaque malade et venait vite à bout des moments d’agitation de tel ou tel d’entre eux, il aussitôt était très proche, donc très rassurant. Il m’a accueilli chaleureusement d’emblée, m’aidant à trouver la bonne distance avec chaque patient, avec beaucoup de respect autant du patient que de moi, ceci non dans un discours scientifique mais par ses attitudes et ses mots simples.
Nous avons fait ensemble de ce pavillon fermé un pavillon ouvert, petite révolution locale. Il n’était que d’un an mon ainé, pourtant, quand je l’ai connu, son expérience était déjà proche de son terme, alors que la mienne allait commencer l’année suivante. Très fidèle à Hélène Chaigneau ‘la’ patronne qui n’était pas d’un abord facile, si prudente face à toutes les barrières que la folie et son interprétation donnent comme obstacle pour rencontrer l’homme chez chaque patient, de ce fait toujours d’abord, non dans un discours savant mais une écoute directe du patient, puis sachant écoutant les récits des infirmiers, avant les discours des médecins. Roumieux appréciait. Il a très bien aussi décrit avec distance et un regard aiguisé la caste médicale. C’est certainement l’infirmier qui m’a le plus marqué par son apport personnel et l’authenticité de son implication.
Son livre, mettant à nu un monde caché, a surpris tout le monde. Je ne me souviens pas de la réaction de ses collègues infirmiers. Je pense que plusieurs vont l’évoquer ces jours-ci.
Le succès ne l’a pas impressionné, il est resté humble, tout en acceptant les contacts pour en parler, il était très content aussi de l’existence de la SERHEP qu’il a soutenue ensuite de son mieux, très attaché à tous les souvenirs qui y étaient ainsi transmis sur la longue et pénible route du siècle asilaire qui nous avait précédé (Ville-Evrard date de 1864).
Mais aujourd’hui 2020 en cet autre temps de confinement que celui de l’asile l’un des risques est de nous endormir et nous laisser tenter par l’oubli.
Roumieux dans un dernier message veut nous réveiller ! Lui-même après une vie humble proche, humaine, a voulu écrire pour porter témoignage. Roumieux était en fait un visionnaire ! S’il a voulu porter témoignage de l’inhumain, refuser l’oubli de l’insupportable, c’était parce qu’il espérait que les jeunes générations créent un monde humain, enfin ! Déjà, nous appuyant sur lui beaucoup d’entre nous ont œuvré de 1970 à 2000 pour révolutionner la psychiatrie fermée sur elle-même, la transformer en une psychiatrie de secteur ouverte sur toute la société. Nous devons prolonger le message de Roumieux sans céder comme nous le voyons ici et là à la facilité de reprendre les anciens discours de plainte et d’accusations.
Mais préparons-nous plutôt lors du dé-confinement à redistribuer autrement pouvoir et richesses. Un exemple modeste : nous voyons de nombreux citoyens qui perdant leur travail ne peuvent plus payer leurs loyers, l’Etat leur avance de l’argent ou leur permet de faire des emprunts, ainsi ils peuvent payer leurs propriétaires. Mais le moment d’après ? ils auront une dette supplémentaire alors qu’ils ne pourront retrouver les salaires perdus. Par contre les propriétaires pendant tout ce temps eux continuent à gagner de l’argent. Où est l’erreur qui permet aux pauvres de s’appauvrir encore et aux riches de s’enrichir ? Ceci en pleine crise. Après, soit les pauvres seront plus pauvres et les riches plus riches, soit nous inventerons une nouvelle société ouverte à la solidarité. De toute façon le monde ne sera plus comme avant.
En psychiatrie les vaillants actuels auront fait déjà des expériences nouvelles de partage grâce à des expériences de soins dans la solidarité tout en maintenant les découvertes si positives de la psychiatrie de secteur, tout en veillant à redistribuer autrement pouvoir et salaires, et avec une administration plus impliquée directement dans le soin, il leur appartiendra de reconstruire une psychiatrie encore plus ouverte sur la société, attachée à mieux faire comprendre les souffrances diverses de chaque patient, et en ‘porter’ une part.
Merci André Roumieux.
Un jeune qui se souvient avoir beaucoup appris à vos côtés
Guy Baillon
Psychiatre des hôpitaux, ancien médecin chef secteur G14 (bondy, Pavillons-sous-bois), ancien président de CME de Ville-Evrard
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